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Histoires de trotte

Illustration source Wikipedia

Ce matin, j’étais attablé au café à côté de la grande vitrine et je lisais le journal. C’est en jetant un coup d’œil dans la rue que j’ai vu passer un jeune couple tout sourires sur leurs trottinettes électriques. L’homme fonçait à vive allure, perché les deux pieds sur la planche de son engin et la femme le suivait à une dizaine de mètres, se propulsant sans assistance par de grandes poussées de pied au sol.

J’ai d’abord pensé que madame connaissait peut-être une avarie de batterie et que monsieur n’avait pas eu la courtoisie de proposer un échange de véhicules. Puis je les ai imaginés en pleine compétition, monsieur pensant pouvoir gagner la course en profitant d’une échappée, et que madame comptait probablement sur une victoire stratégique basée sur une meilleure gestion de sa réserve d’énergie : Que monsieur se ferait inévitablement doubler la grimace aux lèvres et la batterie à plat, plus loin dans l’étape de l’ascension du grand raidillon …

Ce sont ensuite mes nombreux souvenirs de trottinette qui me sont revenus à l’esprit. Mes parents m’en avaient offert une quand j’étais gamin. Elle était bleue, avait de grandes roues à pneus gonflés à l’hélium. Et comme l’électricité n’avait à ma connaissance pas encore été inventée, le moteur c’était moi.

Je n’ai pas tardé à inventer le « trottocross » puis à me faire sermonner par le commissaire de course paternel parce que j’avais réussi à fracasser le châssis (sous-dimensionné) de ma machine à la réception d’un numéro de voltige. Heureusement, ce commissaire était également au bénéfice de compétences de pro dans le maniement du chalumeau. D’ailleurs la réparation a renforcé la structure de l’engin et a tenu tout le restant de la saison.

C’est peut-être là l’une des raisons pour laquelle un filou jaloux s’est permis de me la voler ! Je crois me souvenir que c’est là, que j’ai eu à subir ma première déprime existentielle. Que j’ai pris conscience qu’il existait, dans ce monde qui me semblait alors encore parfait, des monstres sans vergogne capables de concasser un palpitant de gosse de famille modeste en le privant de son rêve de mobilité !

C’est dans le but que je puisse continuer de croire en l’existence des miracles et éventuellement aussi à celle du père Nöel, que les membres de l’écurie familiale se sont cotisés pour m’offrir un modèle identique, mais de couleur rouge ! Et pour décourager d’éventuels serial-aigrefins, mon ingénieur-mécano-commissaire a gravé en grandes lettres mon patronyme et mon groupe et rhésus sanguin le long de la fourche. Et moi, j’ai retrouvé toute la largeur de mon sourire en allant sauter quelques trottoirs…

Un dessin de mémoire de la SunMobile II

Quelques années plus tard, notre famille a quitté la ville pour la campagne. Nous nous sommes installés dans un village un peu encaissé au fond d’un vallon. De chaque côté s’imposait une montagne boisée culminant à une altitude moyenne de 400 mètres au-dessus du niveau de la rivière. Je ne possédais plus de trottinette. ( Je n’ai gardé aucun souvenir de ce qu’elle a bien pu devenir). Elles étaient un peu passées de mode et je crois que lorgnais plutôt sur l’éventualité de conduire une caisse-à-savon ou de maîtriser une planche à roulettes.

Un ami d’enfance lui, en possédait encore une. Et un après-midi, entre deux averses, nous avons entrepris de gravir la montagne à pied par la route goudronnée.

C’était une route très peu fréquentée. En-haut ne se trouvaient presque que des fermes isolées au milieu de leurs vastes domaines. C’est juste avant d’attaquer la descente, à deux sur la trottinette de mon pote que j’ai réalisé que c’était un modèle « allégé » et qu’elle n’était équipée ni de freins, ni d’airbags ni même de garde-boues. Pour espérer une décélération efficace, Il fallait freiner directement à la semelle sur le pneu de la roue arrière, ce que dans un premier temps j’ai fait, jusqu’à ce qu’une forte odeur de caoutchouc brûlé ne vienne nous alerter d’un problème technique. Je venais de sacrifier mes bottes de pluie sur l’autel de notre sécurité. J’allais encore devoir argumenter de la manière la plus persuasive possible en rentrant au bercail. Et ce n’est pas faute d’avoir au départ tenté d’improviser un système de freinage avec des bouts de bois. La pente était souvent assez raide ! Nous nous sentions comme deux cascadeurs. Nos trajectoires étaient optimales. Nous penchions dans chaque courbe pour aller tutoyer les limites de l’adhérence des pneumatiques du bolide sur l’asphalte. Mais, notre vitesse de croisière nous a vite parue un peu excessive !

Plus loin, nous avons dû changer de stratégie de course. De passager-freineur j’ai été promu navigateur-copilote. Pour dévaler le tronçon suivant, je me suis accroupi à l’avant de la planche devant les tibias du pilote . D’un commun accord, (in)conscients que le risque zéro n’existe pas, nous avions convenu avant le top départ, que si nous ne croisions pas d’automobile surprise, nous pourrions réduire au strict minimum le nombre de freinages nécessaires et qu’en arrivant à l’entrée du village, nous utiliserions une longue rampe d’accès à un garage pour nous assurer d’une rapide décélération conduisant à notre immobilisation. Et notre prévision s’est avérée correcte : Pas le moindre véhicule en contre-sens à déplorer et pas le moindre coup de frein consenti ! C’est notre goût du risque qui nous a rattrapé : Cent mètres avant d’accéder à la fameuse rampe de décélération, dans le dernier virage à visibilité réduite, je me rappelle avoir marmonné une phrase à trouille qui a instantanément disloqué notre esprit d’équipage et sous mon regard médusé, j’ai vu le pilote sauter en marche, pour s’en aller tournoyer dans les airs en ricochant à plusieurs reprises sur le bitume. Quant à moi, agrippé et accroupi sur un véhicule désormais totalement hors de tout contrôle, je m’en suis allé terminer ma course contre la clôture d’un poulailler.

Bilan : Botte fondue mise à part, je m’en suis bien tiré, presque sans bobo. Le pilote et acrobate qui s’était éjecté lui, avait quand même bien morflé, mais il a pu rentrer aux stands par ses propres moyens. Durant des années, nous avons beaucoup ri du souvenir de cette aventure de pure folie. Ce fût une expérience précoce du danger qui nous a peut-être sauvé de manière préventive d’un futur drame . Toutefois je regrette aujourd’hui encore d’avoir manifesté cet instant de panique ! Car nous n’avons pas pu aller au bout du projet tel qu’il avait été conçu et avons du renoncer à un final de toute beauté : aller réduire de manière naturelle et grisante, notre excès de vitesse sur la super rampe idéale de rêve !

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Quelques mois plus tard, lorsque je suis devenu l’heureux propriétaire d’une planche à roulettes, c’est sur la même route maudite que j’en ai perdu la maîtrise et à mon tour, ai du sauter en marche à pleine vitesse !

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