Le maintien de l’équilibre (2)

A l’époque, il n’y avait aucune trace de béton ni d’asphalte sur les lieux. Et c’est précisément à l’instant T que nous nous étions garés sur des emplacements libres, distancés d’une trentaine de mètres.

Au cœur de l’été, dans le ciel, il n’y avait rien que du bleu. Le terrain était sablonneux et sec. La végétation plus généreuse et verdoyante que d’ordinaire. Si ça se trouve, au même moment, des grillons stridulaient, des papillons virevoltaient et des lézards se grillaient les pattes sur leurs promontoires de roche…

Ce décor inspirant et des astres idéalement alignés étaient réunis pour la célébration d’un envoûtement. Le parking saisonnier des vacances allait être le théâtre d’une rencontre.

Suivirent échange de sourires, perte des repères pépères, cascade d’alertes orange, salves d’émotions fortes. Ralentissement du temps. Escamotage du sens des réalités. Réunion d’urgence d’une task force de neurones en vue d’âpres négociations internes…

Acceptation des imprévus avec prise de risques. Décision de la poursuite des opérations.

Déclenchement d’une tentative d’approche en ligne droite. Confirmation visuelle demandée. Engagement du processus de quantification. Décodage des potentielles attirances magnétiques. Décontraction de cage thoracique, ajustement des paramètres respiratoires, régulation de rythme cardiaque, monitoring précis de tension artérielle, procédure de désempourprement des joues. Enclenchement de l’inhibiteur de nervosité. Surproduction de phéromones et petit coup de vernis sur les atouts charme connus.

Mais soudain : Demande prioritaire de temps mort de la mémoire à long terme. Raison invoquée : Projection d’une séquence souvenir…

Période: Adolescence. Plan de situation : Même endroit mais avant la première extension de la zone de parcage. Piqûre de rappel sans prise de pincettes : Râteau XXL pris à l’instant T où avait été tombé le genou, droit dans les orties. Situation embarrassante à la suite d’une déclaration de flamme mal évaluée, destinée à une créature irresistible et pas inconnue, assise sur une barrière en bois. Aïe ! Arrière-goût de débâcle sentimentale. Moment de flottement. Manifestations de panique à bord.

Élévation de la cote d’alerte : Code rouge, niveau 3. Impressions de Déjà-Vu. Potentiel remake en point de mire. Amalgame d’incertitudes. Visions d’échec. Sensations de vertiges de bord de précipice…

Poussée d’adrénaline corrective, improvisation d’un parachute virtuel. Impression irrationnelle de saut dans le vide…

Résultat : Trente mètres plus loin, la créature repérée était charmante à souhait et tout à fait disposée à faire ma connaissance. Elle s’exprimait volontiers dans ma langue avec un accent musical.

C’est plus tard qu’elle a chamboulé ma définition du mot « équilibre » rien qu’en le prononçant de la plus belle des manières. Une variante propice à aller s’incruster dans ma mémoire à long terme.

S’est avéré que nous traversions une période réparatrice consécutive à des ruptures récentes.

Ce parking avait donc pour mission principale de changer les idées de ses visiteurs !

Elle m’a parlé de la recette qu’elle se devait d’appliquer à la lettre pour stabiliser son ressenti existentiel. Sa formule mêlait activité physique et recherche de bien-être spirituel.

Je ne puis affirmer avoir tout saisi de sa méthode. Mon imaginaire a retenu qu’elle accumulait du bonheur en allant participer, deux fois par semaine, à des séances de yoga sur planche à roulettes. Quelque chose comme ça.

Ce n’est que beaucoup plus tard que sa formule magique qui revenait occasionnellement me titiller, m’a conduit à mieux définir les ingrédients nécessaires à mon équilibre personnel. Merci beaucoup pour ta formule, l’équilibriste !

Aujourd’hui, à l’entrée et à la sortie du parking saisonnier des vacances, il y a des barrières. Et à côté, une grande boîte en ferraille qui mesure les instants T et qui encaisse des honoraires pour services rendus.

>.<

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *