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Tout le reste va très bien !

Depuis mon adolescence, quand je gambergeais sur mes chances de survie en faisant face à l’angoisse déclenchée par un nouveau bobo, j’avais pour manie de me demander si à la fin, ça allait être mon corps ou ma tête qui me lâcherait en premier…

Avant d’atteindre le jour de mes vingt ans, je penchais plutôt pour ma tête. C’était principalement parce que je faisais des sinusites à répétition. J’avais beaucoup tardé à me défaire de mes caractéristiques de morveux attardé. Il faut dire qu’à cette époque-là, les courants d’air étaient légions et les hivers très rigoureux. La sinusite est une inflammation des sinus. Il s’agit d’un réseau complexe de tuyaux miniatures implanté dans notre front et en dessous de nos globes oculaires. Et je pourrais encore gémir que ça fait un mal de chien lorsque certaines de ces conduites sont obstruées. Une infection à proximité des méninges ne devant pas être confondue avec un petit rhume, je devais pour m’en remettre, me soumettre à des dizaines de séances d’inhalations de vapeurs magiques pour finir par en purger et en ripoliner toutes les canalisations.

A ma majorité, c’est en terminant mon service militaire que j’ai fait des calculs rénaux. Et je pense toujours pouvoir me lamenter que ce n’était en tous cas pas une partie de plaisirs ! On m’avait confié que j’avais justement fait un très mauvais calcul en ne buvant pas assez, pendant que je fournissais mes simulations d’efforts de guerre. Le hic c’est que je me déshydratais intentionnellement en fin de journée pour éviter d’avoir à me relever la nuit. Éviter de devoir me rhabiller dans un sac de couchage patiemment porté à température, m’en extraire pour quitter l’igloo de survie, juste pour aller me congeler la queue en trois minutes dans les courants d’air d’un hiver très rigoureux. Les genoux à terre entre deux grimaces de supplicié, j’avais cette fois acquis la certitude que cela serait mon corps qui me lâcherait le premier ! Même si en même temps j’avais conscience que sur ce coup, ma tête n’avait pas fait fort.

C’est plus tard, que je me suis encore senti tout brindezingue. C’était suite à une mise à jour surprise de mon système d’exploitation. Je me suis retrouvé très désorienté en évoluant dans un environnement passablement modifié. Je notais régulièrement des bugs ici et là dans cette version bêta de mon nouveau logiciel. Il m’arrivait même carrément de perdre le curseur ! C’était ce qu’ils appelaient des crises. Un technicien spécialisé avait établi un diagnostic qui laissait peu de place au doute : le problème serait dans ma tête et nulle part ailleurs

Lorsqu’il m’était offert le répit de me sentir au mieux dans ma caboche, voilà que mon corps se remettait à émettre des signaux de faiblesse. J’avais par la suite été appelé à subir la torture d’une infection urinaire. Cette fois, ce n’était plus des petits cailloux que j’allais évacuer, mais du magma en fusion et au goutte à goutte. Un sale coup au-dessous de la ceinture de la part de mon corps ! Je me sens encore en droit de pleurnicher que j’avais alors du endurer le bizutage d’une quéquette qui participerait à son premier stage en enfer.

J’ai eu très peur de ce que ma tête pourrait encore inventer en termes de calvaire pour reprendre la main et l’ascendant sur mon corps ! Mais finalement non : ensuite c’était plutôt le pied. Mon corps et ma tête ont ratifié un accord en décrétant qu’ils allaient cesser à tour de rôle de m’accabler d’inquiétudes mortifères pour se démarquer.

Et depuis là, on peut dire que me sens bien dans ma tête et dans mon corps au même moment. Ça fait des décennies que je n’ai plus attrapé de sinusite, des lustres que je n’ai plus uriné le moindre gravillon et des années n’ai plus eu à vidanger une goutte de lave. C’est peut-être en partie dû au fait que les hivers actuels sont généralement plus doux. Et je peux même ajouter que ces temps-ci, je traverse nettement moins de crises que ce que s’en inflige notre société.

Alors j’ai remodelé cette habitude de me demander si ce serait mon corps ou ma tête qui me lâcherait en premier : Aujourd’hui, je me demande plutôt si ça sera moi ou le monde dans lequel je vis qui prendra l’initiative de passer le générique de fin.

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