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Madame Lelivre et Monsieur Lecahier

Il était une autre fois et il y a fort longtemps, un grand soir où j’étais de sortie dans le grand jardin des péchés de toute nature. J’y avais fait la rencontre de deux personnes que je ne connaissais ni d’Eve, ni d’Adam. L’homme était assez calme et la femme un peu foldingue. Elle semblait bien partie pour croquer une récolte entière de fruits défendus. Il s’est avéré que ces deux-là n’étaient pas en couple.

Au cours d’une conversation avec le gars en question, me voyant intrigué par les sursauts excessifs de la dame assise à proximité, il m’a confié à peu près la phrase suivante :

-Alors elle, si on veut, c’est un peu comme un drôle de livre : Elle a toutes les pages, mais pas dans le bon ordre…

Cette représentation surprenante est depuis à jamais restée gravée dans ma mémoire. D’ailleurs il arrive que je m’en serve en pensée dans certaines situations. Et avec ma manie de tout visualiser, je l’ai imaginée en album psychédélique haut en couleurs, saturé en rebondissements anarchiques. Je l’ai simplement référencé du titre de Madame Lelivre.

J’avais par la suite un autre soir sympathisé avec elle. Son interprétation m’avait parue moins chaotique qu’ils avaient pu me la laisser entrevoir. Mais elle avait assurément une personnalité discordante d’avec les standards les plus répandus. Je me rappelle encore qu’elle méritait tout à fait sa deuxième lecture !

Cette circonstance peu ordinaire m’a rappelé ce type singulier, qu’on avait invité à venir avec nous dans une discothèque lointaine. Lui, c’était sur la piste de danse, qu’il faisait soudainement des bonds en se livrant à des gesticulations excentriques. Tout cela en vociférant une phrase aussi étrange que comique. Et ainsi, il libérait naturellement tout l’espace nécessaire autour de lui sous la boule à facettes. Et puis, une fois sa chorégraphie d’extra-terrestre qui se lâche terminée, il retrouvait toute sa réserve. Quand on a percuté que ce n’était pas des clowneries intentionnelles, on s’est évidemment amusés à spéculer sur l’origine de ces effets secondaires. Qu’il avait probablement dû chuter de la table à langer. Et certainement la tête en bas, le pauvre !

Je l’avais ensuite revu un autre jour par hasard dans un train. Il m’avait alors présenté son cahier rempli de poèmes manuscrits. C’était un recueil d’impressionnantes envolées lyriques très bien et très proprement écrites, truffées de mots savants qui m’ont ensuite encouragé à ouvrir plus régulièrement mon dictionnaire. Monsieur Lecahier, cet alien qui dansait comme un pied, était donc loin d’être complétement frappadingue !

Ce sont deux personnes que je n’ai plus jamais revues après notre deuxième rencontre.

Et moi alors dans tout cela, que suis-je ? Un carnet de notes, un roman à l’eau de rose, un guide touristique ou un bouquin de recettes ? Ou peut-être une compilation de tout ça ?

Je sais qu’il m’est arrivé de me mélanger les chapitres. De m’égarer dans ma propre lecture. Mais j’ai également démêlé des intrigues. Tiré des énigmes au clair. Biffé des passages nébuleux et sans grand intérêt. Surligné des paragraphes importants. Et aujourd’hui, il m’arrive de penser que j’en sais déjà presque trop sur moi-même.

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